CHAPITRE QUATORZE

Quand mon réveil retentit, ce soir-là à dix-sept heures, j’étais déjà réveillée et je caressais Nala en essayant de ne penser ni à Stark, ni à Heath, ni à Erik. Pour moi, c’était la matinée. Rappelez-vous, jour et nuit sont inversés chez les novices ; les cours commencent à vingt heures et se terminent à trois heures du matin.

Je me levai en titubant et je passai un jean et un pull noir. Je me regardai dans le miroir. Berk ! Il allait vraiment falloir que je dorme le lendemain : les poches sous mes yeux avaient elles-mêmes des poches.

Soudain, Nala fit le gros dos et cracha en regardant la porte. Puis quelqu’un frappa.

— Zoey ! Tu vas te grouiller, oui ou non ? J’ouvris le battant et me retrouvai nez à nez avec Aphrodite, vêtue d’une jupe en laine noire très courte, d’un pull violet foncé et de bottes à se damner. Elle trépignait d’impatience.

— Quoi ? demandai-je.

— Qu’est-ce que tu es lente !

— Épargne-moi ta mauvaise humeur ! Regarde, je suis prête.

— Non, ta Marque n’est même pas couverte.

— Ah, zut. J’avais oublié...

— L’un des rares avantages à faire semblant d’être une novice, reprit-elle, c’est que je n’ai pas besoin de couvrir ma Marque quand je quitte le campus, lança-t-elle d’un ton désinvolte, mais le regard sombre.

— Hé, rappelle-toi ce qu’a dit Nyx. Tu es toujours spéciale à ses yeux.

Elle haussa les épaules.

— C’est ça ! Allez-, dépêche-toi ! Darius nous attend, et tu dois encore aller dire à Shekinah que je viens avec toi. 

— Je veux un bol de céréales, dis-je en m’appliquant une épaisse couche de fond de teint sur le front.

— Pas le temps ! décréta Aphrodite alors que nous descendions l’escalier. Il faut qu’on arrive aux Chats de gouttière avant que ces stupides humains ferment boutique et retournent dans leurs ridicules maisons destinées à la classe moyenne.

— Tu es une stupide humaine, chuchotai-je.

— Je suis une humaine spéciale, rectifia-t-elle. À quelle heure doit-on retrouver Lucie ? Tu l’as prévenue qu’on serait un peu en retard ?

— Je ne l’ai pas eue hier.

— Pas étonnant. Le réseau est pourri dans les souterrains. Rappelle-la. Espérons que tu pourras lui parler, cette fois. |

— Hé, Zoey ! s écria Shaunee lorsque nous passâmes devant la cuisine.

— Comment tu te sens, ce matin ? demanda Erin. Mieux ?

— Oui, merci, les filles, répondis-je en leur souriant.

— Arrêtez, vous me donnez la nausée ! grimaça Aphrodite. Zoey, je vais chercher Darius. On se retrouve au parking. Grouille-toi !

— Je la déteste ! dirent Shaunee et Erin d’une seule voix.

— Je sais, soupirai-je. Mais elle a été super gentille avec moi hier.

— Elle ne devait pas être dans son état normal, commenta Erin.

— Tiens, Zoey, mange tes céréales, dit Shaunee.

— Je n’ai pas le temps. Je dois aller aux Chats de gouttière pour parler de notre programme caritatif.

— Propose-leur d’organiser une vente de charité, me suggéra Erin.

— On doit faire de la place dans notre placard avant le changement de saison, enchaîna Shaunee. Autant vendre nos vieux vêtements.

— Ce n’est pas une mauvaise idée, à condition que la vente ait lieu à l’intérieur pour que le soleil ne nous dérange pas.

— Viens, Jumelle, on va trier nos chaussures ! lança Shaunee.

— Oui, Jumelle. Il paraît que le métal sera à la mode la saison prochaine.

Je quittai le dortoir, poursuivie par leurs bavardages.

Le Fils d’Erebus en poste à l’entrée me salua avec respect. Je lui rendis son salut, puis me précipitai vers le bâtiment principal. Sur le chemin, j’ouvris mon téléphone et tapai le numéro de Lucie. Heureusement, elle décrocha à la première sonnerie.

— Oh, super ! J’ai essayé de t appeler hier, mais tu n’as pas répondu.

— Désolée, Zoey, les portables passent très mal dans les souterrains.

Il allait falloir trouver une solution à ce problème, mais, pour l’instant, je n’avais pas le temps d’y réfléchir.

— Tu peux me retrouver aux Chats de gouttière dans un quart d’heure ? C’est important.

— Les Chats de gouttière ? C’est où ?

— Au croisement de la Soixantième Rue et de Sheridan, dans un joli petit bâtiment en brique.

— Je vais devoir prendre le bus, alors ça va me prendre un moment. Tu ne peux pas venir me chercher ? Je...

Elle fut interrompue par un cri et des rires terrifiants.

— Euh... Il faut que j’y aille, lâcha-t-elle.

— Lucie ! Que se passe-t-il ?

— Rien, répondit-elle trop rapidement.

— Lucie..., commençai-je. 

Elle me coupa :

— Ils ne mangent personne. Vraiment. Mais je dois m’assurer que le livreur de pizza ne se souviendra pas de cette course. On se voit tout à l’heure. Ciao !

Je fermai mon téléphone, inquiète, et passai l’imposante porte en bois du bâtiment principal.

J’empruntai l’escalier circulaire qui menait à la bibliothèque et à la salle du conseil. Je m’apprêtais à frapper lorsque j’entendis la voix claire de Shekinah.

— Tu peux entrer, Zoey.

Les vampires étaient vraiment effrayants à tout savoir comme ça. Je me redressai et j’entrai.

Shekinah portait une robe noire en velours, avec l’insigne argenté de Nyx brodé sur la poitrine  – une femme aux bras levés tenant entre ses mains une lune. Elle me sourit, et je fus de nouveau frappée par sa beauté exotique et l’impression de maturité et de sagesse qui émanait d’elle.

— Bienvenue, Zoey.

— Bonjour.

— Comment vas-tu, aujourd’hui ? J’ai appris que l’un de nos jeunes novices était décédé hier et que tu avais assisté à sa mort.

— Oui, j’étais avec Stark quand il est... quand il est parti. Mais je vais aussi bien que possible.

— Te sens-tu le courage de te rendre aux Chats de gouttière ? Cette première rencontre pourrait s’avérer difficile.

— Je sais, mais je veux y aller. Je préfère être occupée.

— Très bien. C’est à toi de voir.

— J’aimerais qu’Aphrodite vienne avec moi, si cela vous convient.

— C’est la novice qui possède une affinité avec la terre, n’est-ce pas ?

J’hochai nerveusement la tête.

— Nyx lui a en effet donné une affinité avec la terre. 

Après tout, ce n’était pas un mensonge.

— La terre a une influence apaisante. En général, ceux qui sont dotés de cette affinité sont fiables ; on peut compter sur eux. Tu as fait un excellent choix, jeune prêtresse.

Aphrodite, une fille fiable, sur qui on pouvait compter ? Si les Jumelles avaient entendu ça !

— Elle et Darius m’attendent, alors...

— Un instant, dit-elle en me tendant une feuille de papier. Avec mon accord, Neferet t’a changée de cours de sociologie. Tu seras désormais avec les élèves de dernière année.

Elle regarda ma Marque hors du commun, déjà remplie alors que je n’étais pas encore transformée. Aucun autre novice n’avait non plus des tatouages comme les miens. Shekinah ne pouvait pas les voir, mais à son regard entendu je compris qu’elle savait qu’ils étaient la.

— Tu es trop avancée pour rester dans un cours de base, reprit-elle. Je crois  – et ta grande prêtresse m’approuve  – que tu dois connaître les détails de la vie d’un vampire adulte.

— Oui, madame.

— Ce changement a légèrement modifié ton emploi du temps. Je t’ai dispensée de cours ce soir. Fais en sorte d’être revenue à la fin de la pause déjeuner.

— Très bien. Oh, pourriez-vous dispenser Aphrodite également ?

— Je l’ai déjà fait. j’avalai ma salive.

— Eh bien, merci. L’intuition des vampires me rendait extrêmement nerveuse. 

— J’ai l’intention de proposer aux Chats de gouttière une vente de charité organisée par les Filles de la Nuit, l’argent leur reviendrait. Pensez-vous que ce serait possible ?

— C’est une excellente idée. Je suis sûre que nos élèves ont des objets intéressants à vendre.

Je songeai à la collection de chaussures de marque des Jumelles, aux figurines Star Wars d’Erik (peut-être s’en était-il lassé, maintenant qu’il était un vampire adulte) et aux colliers en chanvre tressé de Damien.

— Oui, « intéressants » est le mot juste.

— Alors occupe-toi d’organiser cette vente. Je suis d’accord avec toi, il est important d’entretenir des rapports avec la population locale. La ségrégation entraîne l’ignorance, et de l’ignorance naît la peur. J’ai déjà commencé à collaborer avec la police au sujet des meurtres. Nous pensons tous qu’il s’agit de l’œuvre d’un petit groupe de déséquilibrés. Toi et Aphrodite ne courez aucun risque. Vous serez bien protégées par Darius.

— Bon, eh bien, je vous tiendrai au courant,

— Viens me faire ton rapport demain. À ce propos, j’ai décidé de procéder à un rituel de nouvel an exceptionnel, pendant lequel nous nous concentrerons sur les énergies négatives de cette école. Après la mort de deux professeurs et de ce pauvre novice, ces lieux ont besoin d’une purification puissante. J’ai entendu dire que tu avais été familiarisée à de tels rituels, grâce à ton héritage cherokee.

— Oui ! m’exclamai-je sans parvenir à dissimuler ma surprise. Ma grand-mère se conforme toujours aux traditions de son peuple.

— Dans ce cas, je compte sur toi et sur tes pairs talentueux pour former le cercle. Demain, ce sera le réveillon du nouvel an, alors faisons-le débuter à minuit. Nous accueillerons la nouvelle année par une cérémonie près du mur est.

— Le mur est ? Mais c’est là que... Je me tus, prise de nausée.

— Oui, c’est là qu’a été abandonné le corps du professeur Nolan. Mais c’est aussi un lieu de grand pouvoir ; il sera donc le point central de notre purification.

— Neferet a déjà organisé un rituel à cet endroit, poursuivis-je. Notre grande prêtresse avait dirigé une sorte de service funéraire à l’endroit où le corps de Mme Nolan avait été retrouvé. Elle avait également jeté un sort autour de l’école, lui permettant d’être prévenue à chaque fois que quelqu’un entrait à la Maison de la Nuit ou en sortait.

— La purification et la protection sont deux choses très différentes, Zoey. Neferet s’est concentrée sur la protection, ce qui était une réponse appropriée à cette tragédie. Désormais, nos esprits ont retrouvé le calme, et il est temps de regarder vers l’avenir. Pour cela, une purification est nécessaire. Est-ce que tu comprends ?

— Je crois, oui.

— J’ai hâte de te voir former ton cercle.

— Moi aussi, mentis-je.

— Sois vigilante et sage aujourd’hui, Zoey.

— Je ferai de mon mieux.

Je la saluai respectueusement et m’inclinai légèrement avant de quitter la pièce, anéantie. Comment allais-je faire pour diriger un rituel devant toute 1 école sans l’élément terre ? J’étais la seule à savoir qu’Aphrodite ne possédait plus son affinité. Par ailleurs, tout le monde croyait qu’elle était toujours une novice. Oh, bon sang ! Une fois de plus, j’avais de sérieux ennuis.